Honoré Philippe, Les métiers ambulants de Cernex au début du siècle
LES MÉTIERS AMBULANTS
Ramoneur
Les maîtres ramoneurs embauchaient des jeunes de toutes tailles, âgés de douze à seize ans, dans de grosses familles, principalement de Maurienne et de Tarentaise. Il fallait des enfants de différentes tailles pour qu'ils puissent se glisser dans toutes sortes de cheminées.
Ils étaient équipés de genouillères et de coudières en cuir, ainsi que d'une grosse ceinture. Ils devaient grimper dans les cheminées à la force du dos et des jambes. Arrivés au sommet, ils devaient chanter pour faire voir qu'ils étaient arrivés. En redescendant ils passaient leurs racles pour nettoyer la suie. C'était un métier extrêmement pénible surtout pour des enfants.
En général, ces petits ramoneurs étaient nourris chez le client qui donnait quelquefois la bonne main; mais le plus souvent c'est le maître ramoneur qui encaissait.
Ils parcouraient toute la France jusqu'à Paris. Ils étaient éloignés de leur famille pendant une année.
Rétameur
On les appelait " les magnins". Ils venaient chaque printemps. Presque toujours de souche piémontaise, leur travail consistait à souder des fonds de bidons et de bassines à l'étain, ou à remplacer avec précaution les fonds de "bouilles", à réparer le matériel fruitier.
Ils faisaient aussi tremper dans l'étain les cuillères, les fourchettes, c'était l'argenterie des autrefois.
Rémouleur
Il s'installait sur la place du village une ou deux fois dans l'année, avec sa meule actionnée par une pédale à pied. Il aiguisait les rasoirs, les ciseaux, les couteaux.
Avec une grande précision, il aiguisait aussi les scies à la lime. Il est passé jusque vers 1920.
Je me souviens qu'il aimait s'installer devant chez nous car ma mère lui offrait à boire et à manger.
Le Saguati
C'était le boucher ambulant, spécialiste dans l'abattage des porcs dans les fermes. C'était une fête le jour où l'on tuait le cochon, où d'une main experte le boucher enfonçait son couteau dans la veine du cou du cochon.
On récupérait le sang pour en faire du boudin. Ce jour-là les aides ne manquaient pas. Le boucher faisait également les cochonnailles, atriaux, saucisses... ,et surtout la mise au saloir qui nécessitait un doigté particulier.
La journée se terminait par une bonne "sauce coffe" et une grande fête.
Alambic
En vigueur jusqu'à la première guerre. C'était une chaudière de cuivre de deux cents litres environ, dans laquelle on mettait le marc fermenté. Elle était installée sur un foyer qui permettait de chauffer le marc. Une fois à ébullition, il se formait de la vapeur d'alcool qui montait dans un récipient ressemblant à une pipe à l'envers qui coiffait la chaudière, pour arriver dans un serpentin plongé dans de l'eau froide qui faisait se liquéfier la vapeur d'alcool.
Il sortait alors de l'eau-de-vie à quatre-vingts degrés. Il fallait donc abaisser le taux d'alcool suivant la législation en vigueur. Cela se faisait tout seul quand le système refroidissait ou, si ce n'était pas suffisant, il fallait ajouter de l'eau au marc.
Le propriétaire de cet alambic de ma jeunesse s'appelait Christin, dit "Baleure" en patois. Il est mort à Verdun en 14-18.
La distilleuse
Elle succéda au petit alambic décrit plus haut.
Elle se compose de quatre grandes cuves de cuivre d'environ cinq cents litres chacune qui reçoivent le marc.
Une machine à vapeur à trois kilos de pression chauffe ces cuves; la vapeur d'alcool passe dans un serpentin où elle va se refroidir et se transformer en alcool à quatre-vingts degrés. Il faut donc en baisser les degrés par le même système que l'alambic.
L'hiver on est heureux de déguster sa production personnelle et bien souvent nos vieux s'invitaient en criant en patois:
"Vin bère la gotta !"
Cette distilleuse était la propriété de Jérémie Jeantet de Veyssières qui la fit fonctionner de 1925 à sa mort en 1964. Avant lui M.Guerraz de Valleiry installait sa distilleuse chez Rolliot.
Vitrier
Il passait deux fois dans l'année jusque vers 1920. Il criait très fort: "VITRIER".
Il portait sur son dos des grandes plaques de verre fixées sur une sorte de chevalet de bois avec des petits tiroirs dans le bas où il rangeait ses outils: une boule de mastic, un diamant, un couteau à mastic, un petit marteau et des petits clous.
Il venait principalement d'Italie.
Les bohémiens
Ils passaient en général deux fois dans l'année. Ils faisaient différents petits boulots. A cette époque on les attendait car personne ne faisait leur travail.
Certains raccommodaient les parapluies. Ils passaient dans les maisons du village où ils s'installaient pour quelques jours et ils ramassaient leur ouvrage. Il est arrivé que des parapluies ne retrouvent pas leur propriétaire d'origine...
D'autres criaient "Peau de lapin". A ce cri tous les chiens du village se mettaient à hurler. On vendait les peaux de lapin au poids et de leur côté les bohémiens les revendaient à des tanneries.
Il y avait ceux qui achetaient de la ferraille.
Leur condition était très pitoyable. Je me souviens de la vieille Marie qui s'installait avec sa famille vers le lavoir. Elle mettait de l'eau à bouillir et pendant ce temps son mari allait au bord du Nant Trouble et revenait avec des hérissons qu'il écorchait avant de les cuire pour les manger. Le soir tous dormaient près du lavoir. Cette famille a passé jusqu'en 1945.
Je me souviens également d'un ambulant qui vendait des images pieuses avec des cadres et qui poussait à la consommation en disant quelles étaient bénites.
Le matelassier
Il faisait régulièrement ses tournées l'été aux beaux jours car il travaillait en plein air. On l'appelait "Guérit tout" car il aimait bien boire de l'eau de vie qu'il appelait son "guérit tout". Sa cardeuse posée sur deux roues, deux montants en travers desquels était installé un système de balancement ovale où étaient alignés par rangées des clous courbés et ce dans les deux sens, le tout dirigé par une poignée pour le balancement de la cardeuse, peigne improvisé qui consistait à faire passer par petites poignées le crin végétal qui était agglutiné, il en ressortait bien peigné et moelleux.
Sur deux tréteaux étaient installées de longues planches sur lesquelles était tendue la toile à matelas prête à recevoir le crin cardé. Il fallait replier le tout et coudre avec adresse en donnant une forme rectangulaire à la dimension exacte du matelas. Ensuite avec une longue aiguille tirant une ficelle où était attaché un petit tampon en linge et traversant le matelas pour lui donner son épaisseur, même travail de l'autre côté du matelas pour égaliser l'épaisseur. Ensuite d'une main à poigne il fallait confectionner les bourrelets autour du matelas avec une grosse aiguille recourbée et coudre solidement le tout.
Il fallait être expert pour faire ce travail. Il vous rendait un beau matelas neuf et moelleux. Il faisait également des sommiers.
En patois on l'appelait" le tapa-vesse".
A la même époque il y avait une matelassière à Copponex, Amélie Sallaz surnommée "la Mélie à Fouche".
C'est Camille Breton de Charly qui a succédé à "Guérit tout", avec une cardeuse électrique.
La batteuse
Je ne voudrais pas passer sous silence les anciennes batteuses actionnées par une machine à vapeur munie de deux grands volants d'entraînement, reliée à la batteuse par une grande courroie de plus de dix mètres, actionnant un batteur qui tournait jusqu'à quatre mille cinq cents tours-minute, séparant l'épi de la paille et de la poussière. Cette batteuse exigeait beaucoup de main-d'oeuvre qui se trouvait sur une estrade collective où les tâches étaient réparties suivant l'énergie de chacun: les plus solides remplissaient les sacs de grains à la sortie du trieur. Il y avait l'engreneur qui servait à "donner à manger" à la batteuse; les hommes qui passaient les bottes de blé de la fenière à la batteuse, d'autres récupéraient les bottes de paille crachées par la botteleuse.
{highslide float=left type="img" url="histoire/20eme/Honore_philippe_Ambulants.jpg" width=200 captionText='La batteuse de jean-Marie Excoffier et l'équipe de batteurs devant le restaurant Dusonchet' } {/highslide} | Certains étaient chargés de récupérer la poussière que l'on mettait de côté pour l'hiver. Elle était mélangée avec des betteraves et du sel et faisait un appoint important dans l'alimentation du bétail. |
Les bottes de paille étaient remontées sur la fenière à bout de trident ce qui était très pénible.
Ma maison était la dernière de la campagne de battage du village. Il me fallait une douzaine d'ouvriers, j'en avais toujours beaucoup plus. Après un bon repas on finissait toujours par sécher une douve au tonneau...
Cette batteuse avait été achetée par Jean-Marie Excoffier, dit Planaise, et elle venait de Vierzon (Allier).
Son fils Léon lui succéda pendant plus de quarante ans. Antoine Cugnet, dit "Taine au fils" possédait le même matériel de battage que Excoffier à la même époque.
Ensuite c'est Louis Gros qui effectua les battages en supprimant les machines à vapeur de son père pour les remplacer par de gros tracteurs qui actionnaient et tractaient le matériel. Le tout conduit de main de maître. Si un ouvrier faisait défaut, Louis n'hésitait pas à le remplacer, tout en ayant l'oeil sur son matériel. Son frère Albert effectuait le même travail sur un autre secteur, le Genevois.
Les machines sont maintenant de plus en plus performantes. Où sont les fléaux des autrefois qui étaient très durs à manier et
portaient bien leur nom?
L'ARRACHEUR DE DENTS
Le mot dentiste n'existait pas encore et le métier d'arracheur de dents était pratiqué principalement sur les foires par des gitans qu'on appelait également des "pasquatins". La roulotte servait de salle d'attente et de cabinet dentaire où le plus souvent les dents étaient arrachées à la façon d'un charpentier arrachant un clou dans une planche.
A Cernex il y avait un vieux garde champêtre du nom de Préjoux, surnommé "Daudon" qui exerçait ce métier d'arracheur de dents et aimait se déplacer bénévolement de maison en maison. Il avait son davier et sa pince qu'il sortait de sa poche; il avait également un canif bien aiguisé qu'il utilisait pour faire de petites incisions dans la gencive autour de la dent, après quoi il ajustait sa pince et, d'un coup sec.. AIE! AIE! AIE ! la dent sautait. Une goutte d'eau de vie et c'était terminé. Surtout ne pas oublier une grosse rincelette pour le praticien qui remettait délicatement sa pince dans sa poche. Il était heureux d'avoir rendu service et naturellement il était gratifié d'une pièce.
A partir de 1910-1914, les personnes aisées pouvaient se faire soigner les dents en ville où il y avait quelques dentistes, mais l'activité d'arracheur de dents est demeurée longtemps dans nos campagnes.
Je me souviens, dans les années 1950, de Clément de La Chapelle qui exerçait ce métier.
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Traité et publié le 4 février 2005 par Michel Weinstoerffer